Place de Tin

Après avoir déguerpi de chez Roland à toute vitesse, Pebro avait patiemment cherché Eviana. Il avait surtout mené ses recherches dans le quartier pauvre, où il avait plus l'habitude de la voir. De plus, les gens que Roland l'envoyait chercher s'aventuraient rarement dans les quartiers riches car c'était de fervents opposants recherchés. Après avoir fouillé de fond en comble le lieux qu'il connaissait le mieux, c'est à dire les bas-quartiers, et n'ayant pas trouvé ce qu'il cherchait, il se dirigea vers des établissements que l'on pourrait qualifier de neutres. Bars, échoppes, tavernes, il avait tout écumé. Puis il s'était souvenu qu'il avait un jour entendu une commère déclarer que c'était mauvais pour un garçon si bien placé dans les quartiers de fréquenter une fille comme Eviana. Il en avait donc déduit que celle-ci avait un fiancé quelque part dans les quartiers riches. C'était pour cette raison, et uniquement celle-là, qu'il s'était aventuré dans le territoire des bourgeois.
Mais pourquoi tout le monde, des mendiants aux commères, connaissait Eva ? Eh bien, tout simplement parce que sa mère, Asila, tentait de convaincre tout le monde avec des fables abracadabrantes. Peut-être aussi le fait qu'elle soit proche de Roland jouait-il. Et aussi qu'elle ait un métier aussi prestigieux alors qu'elle vivait dans des quartiers aussi déplorables. Bien sûr, Eviana ne connaissait rien de cette "célébrité". Bien qu'elle se donne beaucoup d'importance, elle ne sait sûrement pas que tout le monde la connaît au moins de vue. Mais, bien sûr, dans les quartier pauvres, de toute façon, tout le monde connaît tout le monde. Il est impossible de garder un semblant de vie privée, aussi chaque habitant des bas-quartiers possède une sorte de célébrité semblable à celle d'Ev.
Pebro avait donc fini par retrouver Eviana sur une place des quartiers riches. Elle était en uniforme aussi hésita-t-il un moment avant de la déranger, de peur d'interrompre son service. Puis il se dit que Roland n'attendait pas. Surtout qu'il l'avait nourri. D'ailleurs, il avait encore un bout de pain à la main. Pebro l'enfourna dans sa bouche, et, tout en mastiquant, s'approcha de la jeune fille solitaire, plantée au milieu de la place. Doucement, il tira sur ses jupes, puis glissa sa main dans celle d'Eviana. D'un geste de la main, il lui fit comprendre qu'elle devait l'accompagner.

Pebro, la main pleine de miettes de pain toujours bien serrée dans celle d'Eviana, comme un enfant s'accrochant à sa mère, commença à avancer. Plus qu'il marchait avec elle, il la tirait. Ils devaient être drôles à voir, le gamin de sept ans tentant désespérément de déplacer une jeune fille.
Il savait très bien qu'il n'aurait pas dû se balader dans ces quartiers, et ne savait pas ce qu'il se passait. Les questions d'Eva étaient donc stupides et ne méritaient pas de réponse. De toute façon, le gamin parlait rarement, alors... Il préférait ne pas user sa salive pour des bavardages inutiles.
Tandis qu'ils avançaient (tout de même un peu) vers l'extrémité de la place, il ne pouvait s'empêcher de jeter des regards à droite, à gauche, de crainte de voir des soldats de l'Eglise débarquer. Il savait parfaitement que les mendiants pris "la main dans le sac" en train de pratiquer leur "métier" étaient immédiatement jetés aux cachots. Et il avait beau ne pas être en train de pratiquer son métier, il restait un mendiant. De plus, on pouvait avoir l'impression qu'il agressait Eviana, qui, dans la tenue où elle était, ressemblait à une belle dame. Toutes les apparences étaient contre lui, et Pebro n'était pas du genre à vouloir moisir au cachot pour les beaux yeux de Roland. Encore moins pour ceux d'Eviana.

- Dis, tu vas te dépêcher, oui ? J'ai pas l'intention de moisir ici, moi !

Mais le Pebro dont elle parlait ne semblait pas si digne de confiance que ça. Lorsqu'il avait vu arriver vers eux l'homme vêtu de chausses et d'un pourpoint gris perle, le jeune mendiant avait senti la menace s'abattre sur lui. Par réflexe, il avait fait un bond en arrière, plaçant Eviana entre eux deux. Puis, lorsqu'il s'était rendu compte qu'elle connaissait le bourgeois, il ne pensa qu'une chose, un mot : "Traîtresse !" Alors qu'Eva commençait à engager un début de conversation, Pebro détala. Lâchant la main de la jeune fille, il se mit à courir vers la ruelle la plus proche et s'y jeta en un saut impressionnant. Il atterit sur les pavés, les mains regroupées autour des genoux. Prenant à peine le temps de se redresser, il reprit sa course, plié en deux. Il entrait dans son domaine, celui des ruelles sinueuses. Personne ne pouvait le rattraper.
Mais il n'avait pas compris qu'il n'y avait pas de menace. Ou très peu. Il s'était persuadé, en quelques années de vie, que tous les bourgeois représentaient un danger pour lui. Ce n'était pas faux. Mais si il y avait au moins un riche qui ne risquait pas de lui faire du mal, c'était Benjamin ; surtout en présence d'Eviana. Se méprisant à son sujet, Pebro l'avait pris pour l'un de ces immondes calomniateur , fidèle de Karos. Il avait été choqué à l'idée qu'Eviana, partisane de la paix, puisse frayer avec pareils gens.

Il avait donc fui. Mauvais choix ? Sûrement. Lâcheté ? Certainement pas ! Mais il faut vivre dans un monde et un milieu hostile pour comprendre que la fuite n'est pas une solution de facilité...



[réponds pas tout de suite, je vais faire Benjamin dans un autre post]

Eviana était restée stupéfaite devant la réaction de Pebro. Jamais elle n'aurait pu penser qu'il reagirait ainsi elle la venue de Benjamin!

Bah, se dit-elle, si ce qu'il avait à me dire était tellement important il serait resté.

Eva avait levé les yeux au ciel en entendant les elucubrations amusées de Benjamin, par habitude car malgré tout il avait toujours le mot qu'il fallait pour lui remonter le moral.

-Idiot! s'exclama-t-elle en riant. Bien que je sois certaine que tu lui ai fait peur, je peux te rassurer, tu n'es pas un monstre.
Inutile cependant de poursuivre Pebro car comme tu l'a dit toi-même, il connaît les ruelles comme sa poche.Je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il me voulait!
De toute façon, ce soir je vais voir ma mère et Roland donc je verrai bien.

Bon, je suis affamée, ajouta-t-elle, on y va.

5 minutes plus tard, Benjamin et Eviana étaient assis dans un petit restaurant à l'allure sympathique et aux fauteuils moelleux. Ils avaient commandés un poulet accompagné de légumes verts qu'ils comptaient se partager.
En attendant leur commande, les deux amis discutaient de leur matinée. Benjamin avait expliqué à Ev pourquoi il y avait si peu de gens dans les rues ce jour-ci:
Aujourd'hui se tenait le jour de la grande foire anuelle.
Leur poulet arriva. Ils le mangèrent en vitesse car Eviana avait une petite course à faire pour Roland, il désirait un certain produit rare qui ne couterait rien à la jeune fille,car celle-ci allait user de son statut pour se l'approprier gratuitement. C'est aussi pour cela qu'ils avaient mangé si tot aujourd'hui, à peine 11 heures.
Benjamin regla la note et ils se mirent en route.
Ce jour-la, Eviana se sentait oppressée. Un mauvais pressentiment l'habitait et elle ignorait ce que cela signifiait. Au repas, elle n'avait quasiment rien mangé et le matin non plus. Malgré sa faim elle n'avait fait que picorer dans l'assiette.

Tandis qu'ils marchait d'un pas vif en direction de l'apothicaire, eviana se sentit soudainement très faible et agrippa avec force le bras de Benjamin.
Puis tout devient noir...

Heureux d'avoir fait sourire sa moitié, Benjamin rit avec elle, et se délecta d'entendre le son cristallin de sa voix. Chaque minute sans elle était du temps perdu, et, malgré son détachement et son ironie apparente, il tenait profondément à elle. Pendant qu'ils attendaient leur commande, il l'observait, guettait ses gestes et ses petites manies, comme celle de remettre ses cheveux derrière ses oreilles. C'était un geste qu'elle faisait souvent, et qu'il adorait : sa manière délicate de prendre ses cheveux entre ses doigts fins... Oui, décidément, il était amoureux. Il avait espéré pouvoir profiter de ce déjeuner avec Eviana, mais celle-ci préféra l'expédier. Tant mieux, se dit-il, ils auraient plus de temps ensuite. Mais lorsqu'elle lui annonça qu'elle avait une course à faire pour Roland, il râla intérieurement. Entre son métier, Roland et sa mère, il avait l'impression qu'Eva lui passait entre les mains. A chacun de leurs déjeuners, elle s'en allait précipitamment pour telle ou telle raison. Et comme ils se voyaient assez rarement en dehors de cette occasion quotidienne, il désespérait de ne pouvoir profiter plus de sa compagnie.
Comme Eva était déjà levée, il fut contraint de payer la note et de la suivre. Il la rattrapa, glissa sa main dans celle, longue et fraîche de la jeune fille, et accorda son pas au sien. Tout à sa bouderie, il ne se rendait pas compte de l'humeur d'Eviana. Lui d'habitude aux petits soins pour elle, toujours à guetter quelque chose qui pourrait lui être agréable, ne songea pas à la réconforter ou à la dérider comme il savait si bien le faire. Il se contenta de lui murmurer au creux de l'oreille :

- Dis...

Il avait la ferme intention de lui demander de passer plus de temps ensemble. Mais, à ce moment là, elle agrippa son bras avec une force qu'il ne lui soupçonnait pas. Avec son ironie naturelle, il ne put s'empêcher de penser :
*Eh ben, si c'est l'effet que lui fait ma voix, je devrais lui parler plus souvent, et ce serait elle qui me supplierait de plus me voir !*
Mais, au moment où la pensée se formulait dans son esprit, Eviana s'évanouit. Il n'eut que le temps de la rattraper avant qu'elle ne touche le sol. Effaré, il s'agenouilla et appuya la tête et le dos de la jeune fille contre ses cuisses. Il regarda frénétiquement alentour, mais il n'y avait personne. Ah, oui ! Cette fichue foire !

Et, bien sûr, il avait fallut qu'il fasse l'école buissonnière le jour où, alors qu'il était au lycée, on leur avait appris les premiers soins à administrer en cas d'évanouissement. Mais pourquoi avait-il fallu qu'il soit un cancre, pourquoi ?! Reléguant ses pensées dans un coin de son esprit, il commença à attribuer de petites giffles sur les joues d'Eviana. (En passant, il remarqua à quel point sa peau était douce. Eh oui, un amoureux le reste dans toutes les situations) Puis, se relevant en voyant que cela ne marchait pas, il la souleva dans ses bras et la porta jusqu'au restaurant qu'ils venaient de quitter (Quel homme !). Avec la permission du patron, il l'allongea en travers sur deux fauteuils, et alla lui chercher un verre d'eau. Tout en lui tenant les épaules d'une main, il lui fit boire le contenu du verre, puis, en désespoir de cause, lui jeta le reste de l'eau sur le visage.

[Mais qu'est-ce que vous avez toutes, à vous évanouir ? Ralala ! Les jeunes, de nos jours ! Ils ont une faible constitution ! Je suis sûre que c'est parce que vous ne mangez pas assez de légumes verts ]

[enfin la suite !]


Hurao, accompagné de Tyraphélis et Alias arriva sur la place de Tin. Le conseiller marchait d'un pas rapide et raide, ruminant ses pensées, se tordant les mains de stress. Il voulait, il devait réussir cette mission et éliminer cette gamine rebelle.
Il y avait pas mal d'animation sur la place. Les gens allaient et venaient dans une ambiance bourgeoise bon enfant. Mais le silence se fit lorsque tout le monde reconnut les trois arrivants, un silence très gênant. Seul résonnait encore contre les pierres le rire d'un homme tournant le dos à Hurao. Les mères, instinctivement serrèrent leurs enfants contre elles et pressaient le pas en baissant la tête.
Cette atmosphère de plomb ne semblait pas gêner le moins du monde Hurao. Il inspirait la crainte, même aux bourgeois avec son humeur changeante et sa paranoïa quasi-légendaire et le savait. Lui, impasside, se tordant toujours nerveusement les mains, détaillait les gens devant lui. On lui avait fait une description très précise de la jeune Eviana, poussant même jusqu'à détailler ses lobes d'oreilles, information infaillible lorsque la personne cherchée était déguisée.
Au bout d'un certain temps, il dut se rentre à l'évidance : la fille n'était pas sur la place. Le conseiller principal de Karos, sentant la colère bouillonner en lui, jura. Comment, cette peste, cette gamine rebelle n'avait même pas l'éducation pour se présenter à l'endroit de sa mort ! Eh bien, si elle voulait se cacher, il la trouverait !
De toute manière, les informateurs n'auraient pas mentis, elle ne devait pas être loin...
Se tournant vers les deux femmes qui l'accompagnaient, il leur dit d'une voix étouffée par sa rage grandissante :
- Alia,va voir chez l'herboriste et la forge. Tyraphélis, au restaurant. Je me chargerais du tailleur. Que chacun appelle l'autre si...
Il ne prit même pas la peine de finir sa phrase et la laissa en suspent. Il était pris de tremblement qui caractérisaient une grande colère qu'il s'efforçait de contenir. [il va finir cardiaque le Hurao xD]
D'un pas rageur, il se précipita vers la vitrine du tailleur et donna un grand coup de pied, brisant ainsi le verre.
Elle voulait se cacher ? L'expérience n'en sera que plus intéressante.

Eviana, qui avait été transportée dans une chambre au premier étage par les bons soins de Benjamin, ouvrit les yeux. Les volets avaient été tirés, mais laissaient tout de même filtrer une bonne partie de la lueur de l'après midi. Son premier réflexe fut de tâtonner à la recherche de la main de son presque fiancé, qui devait sûrement traîner par là.
A vrai dire, elle ne trouva rien d'autre que l'immensité plus ou moins blanche des draps. Essayant d'ouvrir plus les yeux malgré la lumière qui lui piquait les tempes, elle remarqua qu'elle était seule dans la chambre. Ses cheveux étaient encore humides - souvenir du verre d'eau qu'il lui avait lancé au visage - et elle ne savait pas pourquoi. Son dernier souvenir avait été celui de leur repas. Qu'avaient-ils fait après ? Ils s'étaient levés. Elle avait une course à faire. Il faisait chaud. Elle n'avait pas mangé grand chose. Mais ce n'était pas cela. Elle ne s'était pas évanouie à cause de la chaleur ou de la faim.

Elle avait eut une soudaine impression étrange, un noeud dans le ventre. Elle s'était retenue fort au bras de Benjamin. Sa dernière pensée avant l'écran noir avait été pour sa mère. Mais qu'est-ce qu'il s'était passé ?

Petit à petit, les souvenirs lui revenaient.

Pourquoi n'était-il pas là ? Il n'était pas du genre à l'abandonner dans un moment difficile. En général, il était plutôt aux petits soins pour elle, plein d'inquiétude quand cela n'avait pas lieu d'être. Il aurait du être là, à se mordre les lèvres, à se tordre les doigts d'angoisse.

Qu'était-il arrivé ?

Lorsqu'elle s'en sentit la force, elle se leva. Précautionneusement, elle extirpa chacun de ses membres des draps, et se leva. Quelqu'un, sûrement Benjamin, lui avait retiré son corsage. Elle était donc en chemise et en long caleçon moulant. Sa coiffure, habituellement sophistiquée, retombait en lourdes mèches sur ses épaules, et elle prit le temps de retirer toutes les attaches pour laisser ses cheveux ruisseler dans son dos. Elle endossa son uniforme et, inquiète quand à Benjamin, sortit de la chambre.

La même impression la reprit. Un sentiment d'oppression, un visage flou qui se manifestait devant ses yeux sans qu'elle parvienne à l'identifier. A pas lent, elle descendit l'escalier. Ses jambes étaient lourdes, et elle était si attentive qu'elle ne faisait pas un bruit. Ses chaussures, faites pour marcher mais aussi pour être confortables, glissaient silencieusement sur le plancher des marches.

La scène qui s'offrit à ses yeux à demi-plissés par le soleil la fit s'arrêter au milieu de sa descente. Une jeune fille, aussi froide que sa lame, semblait menaçer le bon aubergiste qui l'avait accueillie. De là où elle était, Eviana voyait la lueur bleue de son regard qui se reflétait sur l'acier tranchant. Encore plus pâle que d'habitude, la jeune malade s'avança d'un air fantomatique.

Elle descendit les dernières marches, tranquillement. Son esprit vacillait mais, dans le tragique de l'instant, ses jambes tenaient fermement. Elle s'arrêta au bas des escaliers. Elle était encore loin du comptoir, hors de portée de lame, en tout cas. Ses longs cheveux bruns, qui lui arrivaient plus bas que les hanches, contrastaient avec sa peau blanche comme un linge. Elle avait trop serré son uniforme, et avait l'impression d'étouffer.

Dans un murmure, comme un souffle seulement porté aux oreilles de l'ennemie par le courant provoqué par sa respiration, elle prononça :

- Aurait-il vu qui... ?